Le 24 janvier encore, ont déferlé des centaines de milliers de manifestants, ceci combiné à ce mélange de manifestations quotidiennes et de réseaux semi-spontanés dont nous parlions dans notre article éditorial d’il y a une semaine, et à la montée des grèves et affrontements dans l’enseignement et les universités.

Les violences policières et les agressions judiciaires, d’ailleurs, se tournent de plus en plus de ce côté-là, d’où le pouvoir sent le danger.

Le sentiment massif est que nous sommes forts, que Macron a perdu moralement et par là politiquement, mais que c’est long – double sens de cette longueur : qu’on tienne démontre notre force, mais aussi que le pouvoir n’a pas cédé d’un pouce sur l’essentiel. Dans ces conditions, que cheminots et traminots gèrent la poursuite de leur grève sous le mode d’une reprise progressive du « travail », ne saurait leur être reproché : la masse le comprend et elle a alimenté largement les caisses de grève. Et la poursuite de leur grève a un sens politique, celui de défier Macron et d’affirmer ce que veut la masse : en découdre et le chasser.

Mais comment gagner ?

Nous l’avons dit à plusieurs reprises : l’occasion de gagner s’est présentée au lendemain de la formidable poussée d’en bas du 5 décembre, puis après le 17 décembre, après le 9 janvier. A chaque fois la grève générale, surtout au lendemain du 5 décembre, s’imposait réellement comme grève dans de multiples secteurs, était réalisable non comme « inscription dans la durée » ou « grève reconductible » à son tour « dans la durée », mais comme montée en puissance rapide et efficace, associée à la centralisation contre le pouvoir politique du capital, qui lui donne son contenu, donc à une manifestation centrale.

A chaque fois la victoire fut possible, mais parce que cette victoire signifiait ouverture de la crise révolutionnaire du régime de la V° République, Macron étant du coup non seulement battu mais chassé, les directions syndicales CGT/FO/FSU/Solidaires n’en ont pas voulu : là se situe le verrou.

A nouveau maintenant, la victoire est possible par la grève générale et une manifestation centrale au moment du débat parlementaire qui démarre officiellement le mardi 4 février, la commission parlementaire se réunissant le 3 février et le débat public commençant le 17. Une telle manifestation centrale ne se conçoit que sur le mot d’ordre de retrait et avec l’objectif, non pas d’amender ou de censurer le projet, mais d’interdire à cette assemblée qui n’en est pas une, qui n’est qu’un croupion de l’exécutif, de la voter. Donc le même objectif d’affrontement politique central visant à battre, défaire et chasser Macron, qui, s’il n’est pas celui de l’intersyndicale en ses sommets, est bien celui des millions de grévistes et de manifestants.

Si ces directions voulaient la victoire, elles afficheraient cet objectif maintenant. A quoi appellent-elles en fait ? A un nouveau « temps fort » le mercredi 29 janvier, précisément la veille – la date est, paraît-il, choisie pour cela – de la réunion de la « conférence de financement des retraites », pour « étudier les propositions des partenaires sociaux sur l’équilibre du régime des retraites à moyen et à long terme. »

Il s’agit donc d’appliquer le projet de destruction du droit à la retraite, en faisant des « propositions » se situant dans le cadre de sa mise en œuvre. Nul doute que la CFDT, hors-jeu sur le terrain réel de l’unité des travailleurs, fera de telles « propositions », ainsi que l’UNSA (en opposition frontale avec ses propres secteurs engagés dans la défense de régimes spéciaux ou préoccupés du code des pensions des fonctionnaires), suivies de la CFTC.

Mais que feront les directions de l’intersyndicale constituée sur l’exigence du retrait ?

La CGT doit faire connaître sa décision lundi soir, une « consultation » interne des fédérations et unions départementales s’étant déroulée jusqu’à vendredi. Mais la lettre de la CE confédérale à celles-ci commence par la phrase : « Nous participerons, à l’instar des organisations syndicales qui y sont conviées et constitutives de l’intersyndicale, à la première de ces réunions en y portant et développant nos revendications, nos propositions de financement, appuyés de l’expertise de différents économistes. » Ainsi on « consulte » les fédérations et unions départementales sur le fait de « participer » ou non, mais en annonçant qu’il est déjà décidé que « nous participerons » au moins à la première réunion, celle qui est décisive pour installer l’opération gouvernementale ! Ajoutons qu’on cherche en vain le mot « retrait » dans ce courrier aux organisations CGT.

A FO, le dernier édito du journal confédéral, d’Evelyne Salamero, ne dit pas un mot de cette conférence, mais c’est Le Figaro qui annonce qu’un secrétaire confédéral, Philippe Lama, a « confirmé » la participation de FO. Signalons que Philippe Herbeck, secrétaire de la fédération des cheminots FO, écrivait le 15 janvier aux UD et fédérations : « … comme l’a dit notre Secrétaire général Yves Verrier en fixant les limites des négociations, en particulier en interdisant que leur résultat ne provoque une hausse du coût du travail, c’est le syndicalisme même qui est nié. Car que faisons-nous quand nous négocions (…) à part augmenter le coût du travail ? C’est notre raison d’être qui est ici interdite ! » Certes : faut-il donc que le même Verrier aille nier la « raison d’être » du syndicalisme jeudi 30 janvier ?

La FSU a quitté les instances ministérielles de « concertation » car il n’y a plus de concertation, et elle réaffirme dans un communiqué du 25 janvier l’exigence de retrait du projet anti-retraites. Son nouveau secrétaire général, Benoît Teste, déplore toutefois dans une lettre du 24 janvier au premier ministre de ne pas avoir été invité à la « conférence de financement » et demande à être reçu à Matignon.

Quant à la position de Solidaires, avouons que nous ne l’avons trouvée nulle part, son site national appelant à la « grévilla », c’est-à-dire, si l’on comprend bien, à des petites, toutes petites grèves dans tous les sens …

Notons encore que la CFE-CGC a annoncé sa participation tout en se déclarant convaincue qu’il n’en sortira rien de bon car ce n’est qu’un « jeu de dupes » !

Cette participation ou cette volonté participative des uns et des autres, en dépit de tout, est liée au verrou posé contre la grève générale et la centralisation rapide pour en découdre : si l’on a peur de gagner par peur de renverser le pouvoir politique, on ne peut que cautionner la fausse «concertation » orchestrée par ce pouvoir, même en criant sur les toits que c’est du pipeau, mais en cautionnant quand même.

Dans le même temps, se développe la « crise des E3C », ces « Épreuves Communes de Contrôle Continu », c’est-à-dire le Bac inégalitaire et à points de M. Blanquer.

L’affrontement monte dans l’Éducation nationale, ainsi que dans les universités contre la loi dite de programmation pluriannuelle de la recherche. Il ne s’agit en rien d’un développement secondaire : c’est le même mouvement, porteur d’un nouveau souffle, que celui contre Macron en défense des retraites. Empêcher les E3C, cette fumisterie honteuse, devrait être un enjeu central pour toutes les organisations ouvrières.

Le pouvoir, lui, le comprend très bien. C’est pourquoi les convocations au commissariat de responsables syndicaux auvergnats ce mercredi ne sont pas des convocations « de plus » par rapport aux nombreuses convocations répressives accumulées depuis des mois, mais des convocations ciblées contre 2 responsables UNEF, un CGT, un SUD, un FO, et les deux responsables académiques du SNES-FSU. La « bataille » du lycée Blaise Pascal le 18 janvier dernier a été un évènement politique central lançant la bataille des « E3C » dans toute la France. Cela, le pouvoir l’a compris.

Résumons-donc les trois choses à faire pour gagner :

Premièrement, un appel clair à la grève générale (et pas à des « grévillas » !), pas « sur la durée » mais sur deux ou trois jours, avec montée sur Paris pour empêcher le faux parlement de Macron de faire son sale travail. Il s’agit d’affronter le patron, le pouvoir politique du capital, pour le battre et le chasser ? Hé bien oui !

Et donc, ne pas participer à la « conférence de financement » et aux opérations analogues de « dialogue social » : on ne « dialogue » pas avec un patron qu’il s’agit de défaire et donc de virer.

Troisièmement, soutenir professeurs et élèves contre le Bac Blanquer en faisant de ceci un élément revendicatif national. Il est compréhensible qu’un syndicaliste, par exemple dans la métallurgie, ne sache pas trop, a priori, ce que c’est que cette histoire d’ « E3C ». Une direction qui veut gagner saurait le lui faire comprendre très vite et d’ailleurs, nombreux sont les travailleurs du «privé » aussi bien que les cheminots et les électriciens qui, via les réseaux constitués avec des enseignants à la base, l’ont d’ores et déjà très bien compris.

La mise en œuvre de ces trois points n’est assurément pas plus difficile, et sans doute plutôt moins, que la reconduction des grèves « dans la durée ». Elle pose le problème politique de la fédération de celles et de ceux qui veulent aider leur classe à gagner : sujet de notre réunion de dimanche prochain, car nul doute que la discussion avec le socialiste et syndicaliste américain Dan La Botz nous enrichira pour les mêmes enjeux !

26-01-2020.