En boycottant ostensiblement le stand de la littérature russe au salon du Livre de Paris, Macron a prétendu manifester son soutien à la Grande-Bretagne face à la violation de sa souveraineté par l’action éliminatoire menée sur le sol britannique par les services contre un ex-agent russe.

Se faisant, Macron a renoué avec une vieille tradition, celle qui veut que lorsque les puissants du monde se font la guerre ou la gueule, leurs peuples respectifs sont enrôlés, au garde à vous derrière leur chef incontestable du moment.

Quand bien même le régime de Poutine est fort éloigné des canons minimaux de la démocratie libérale, quand bien même l’ombre de Staline et des Tsars autocrates plane sur le Kremlin, pour autant s’il y a bien un secteur où une mise au pas n’est pas aboutie, c’est bien celui de la production littéraire !

On nous dénichera quelques auteurs abonnés au courant national-bolchevik en guise d’épouvantail (dont Zakhar Prilepine, un authentique butteur de Tchétchènes des années 90 ). Mais la vitalité de la littérature russe ne se borne nullement à ces carrés douteux, ainsi que le clame fièrement l’auteure Ludmila Oulitskaïa :  « Je n’ai jamais dépendu du pouvoir, il ne m’a pas fait de cadeaux et je ne lui dois rien ».

L’assimilation des productions intellectuelles d’un peuple aux faits et gestes de l’actuel locataire du Kremlin renvoie à une vieille tradition politique, celle du « on se fait la guerre, mais on est bien d’accord : pas de révolution, ni chez toi, ni chez moi !». Cette tradition consiste à attribuer une « responsabilité collective » à un peuple pour les forfaitures de ses dirigeants.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, alias la Grande Guerre Patriotique en Russie, la « responsabilité collective du peuple allemand » fut une antienne partagée par Churchill, Staline, Roosevelt et Hitler dont la fonction politique était d’occulter la crise du système capitaliste dans l’irruption du conflit mondial, la responsabilité essentielle de la classe capitaliste dans l’arrivée au pouvoir du Petit Caporal, et surtout d’empêcher que ne se reproduise « 1917 » (pour la version russe) ou « 1918 » (pour la version allemande), c’est à dire le moment où les peuples cessent de subir l’insupportable, remettent en cause le système générateur des massacres et de la misère et règlent leur compte aux régimes et aux dictateurs assassins.

La « responsabilité collective du peuple allemand » fut l’argument justifiant les bombardements systématiques des villes allemandes, tel celui emblématique de Dresde, bien au-delà des nécessités de frapper le potentiel militaire de l’adversaire (*), ou les viols de masse subis par des centaines de milliers, sinon des millions, de femmes, polonaises comprises, de la Prusse Orientale jusqu’à Berlin en 1944-45.

La « responsabilité collective du peuple allemand » fut d’autant plus utilisée que la fin de Mussolini avait donné un avant-goût de ce que serait une irruption révolutionnaire à l’échelle du continent.

La « responsabilité collective du peuple allemand » fut déclinée en France sous le mot d’ordre « A chacun son Boche ! ». Comme moyen de s’opposer à la mutinerie des soldats du rang contre les officiers nazis, ce fut … efficace ! « 1918 » ne revint pas. Au grand soulagement de Churchill, Roosevelt et Staline.

La « responsabilité collective du peuple allemand » se décline très bien dans la Syrie d’aujourd’hui : le peuple syrien est condamné à rester coincé entre « Tous derrière Assad » et «Tous derrière Daesh et les islamistes … » avec interdiction formelle d’exercer librement son choix quant à son avenir. Telle est la fonction de l’écrasement de la Ghouta aujourd’hui.

Emmanuel conforte Vladimir, et Vladimir en sera gré à Emmanuel. « Chacun maître chez soi et les vaches seront bien gardées ! »

En attendant, on lance les paris pour savoir quelle sera la taille des stands des firmes russes ou associées lors du prochain salon des armements du Bourget, ce rendez-vous incontournable des planificateurs de massacres du monde entier…

17-03-2018.

* on souligne combien la densité des attaques aériennes sur des agglomérations urbaines tranchait avec la rareté de celles visant les voies ferrées menant aux camps d’extermination …

PS :

En lançant une opération d’élimination en terre étrangère, Poutine envoie deux messages :

  • 1) « je fais comme les Américains, j’élimine qui je veux, où je veux », il n’y a pas de raison que les Yankees aient le monopole de la chose.
  • 2) il envoie un message fort à usage préventif interne pour les gens fréquentant les allées du pouvoir à Moscou : malheur à qui me trahira ! Staline usait abondamment en son temps de ce genre de messages.